EDITO #6 (Novembre 2008) : L’au revoir de Hicham
Maroc Echecs 23 novembre 2008.
Par Docteur Mourad Métioui
Nous vous présentons ce mois-ci un éditorial spécial, sous forme d’une interview avec notre fierté nationale, le meilleur joueur arabe et africain de tous les temps, le GMI Hicham Hamdouchi.
Hicham nous livre ses sentiments et ses projets, en toute clarté. Hicham nous apprend en toute lucidité qu’il a décidé de tourner la page et se consacrer pleinement à son avenir professionnel, sans devoir continuer à dépendre du bon vouloir d’un président de fédération, d’un fonctionnaire quelconque.Hicham nous explique comment sa patience a atteint ses limites et nous précise l’importance de l’enjeu que signifie pour lui d’être à chaque fois tributaire d’une décision de dernière minute, un fonctionnement tout à fait incompatible avec le mode de vie du joueur professionnel qu’il est.
MM : Bonjour Hicham. Tout d’abord, un grand merci d’avoir accepté de me consacrer quelques minutes de ton précieux temps afin de faire part aux lecteurs de Maroc Echecs de tes impressions par rapport à la situation actuelle des échecs marocains et tes projets d’avenir.
HH : C’est moi qui te remercie cher Mourad. Je suis moi-même un fidèle lecteur de Maroc Echecs et apprécie le grand travail journalistique que vous effectuez pour les échecs marocains.
MM : Hicham, nous sommes tous déçus de l’absence du Maroc à Dresde. Pourtant, nous y avons cru après l’AG historique du 2 novembre. Etait-ce un mirage ? Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge à ce qu’il paraît, mais est-ce vraiment la faute au Ministère ?
HH : Je pense qu’il est réducteur de rendre responsable un simple fonctionnaire du ministère, de la non-participation du Maroc aux Olympiades. Pour moi, ce n’est qu’un symptôme de plus qui traduit encore une fois la maladie qui ronge notre fédération depuis quelques années déjà. Nous avons tous cru entrevoir le bout du tunnel après l’AG du 2 novembre mais ce n’était malheureusement qu’une illusion et une utopie. Nos problèmes ne disparaîtront pas sur un simple coup de baguette magique et c’est de l’intérieur qu’il faut soigner le mal.
MM : Pouvons-nous encore espérer ? Avons-nous les moyens pour redorer le blason des échecs marocains ? Que peut-on bien faire pour y arriver ? En ces temps de réforme, tout le monde y va de sa petite théorie, mais nous aurions aimé avoir l’avis du joueur professionnel que tu es.
HH : Nous avons des compétences à tous les niveaux sauf, à mon avis, en ce qui concerne les dirigeants de notre fédération. Nous avons une équipe fort compétitive, il suffit de voir notre équipe supposée jouer à Dresde pour s’en rendre compte. Nous avons des jeunes joueurs talentueux : je pense à Mokhlis Adnani, Ali Sebbar, Rachid Hifad et tant d’autres.... Nous disposons d’organisateurs d’une grande compétence : je pense à la qualité des tournois organisés à Chefchaouen, Rabat ou Tanger pour ne citer que ceux-là. Enfin, nous pouvons être fiers des personnes qui font du grand travail journalistique, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Maroc. Il n’y a qu’à lire les nombreuses interventions et les divers articles sur ME pour s’en rendre compte. Malheureusement, toutes ces énergies sont éparpillées et ce qu’il nous manque cruellement, ce sont des dirigeants capables de rassembler et de fédérer toutes ces bonnes volontés. Des dirigeants capables de ramener des sponsors privés à notre fédération. Enfin, des dirigeants capables de défendre avec force et fermeté notre cause devant les pouvoirs publics.
MM : Il faut reconnaître que les échecs n’ont jamais vraiment bénéficié d’un vrai soutien de la part des pouvoirs publics. Pas plus que de nombreux autres sports tout aussi marginalisés d’ailleurs. Je me souviens d’un coup de gueule d’un journaliste dans un journal national vers la fin des années 80 qui lançait l’appel désespéré : « Hicham, Ô ministère des Sports ! ». Depuis, nous n’avons pas arrêté de « crier ». Des exemples de lettres ouvertes, de communiqués et autres interpellations en tout genre ont souvent défrayé la chronique sans qu’on bouge le moindre doigt. Faut-il plus de résultats ou bien devons-nous être plus agressifs au niveau journalistique ?
HH : Ce ne sont pas les résultats qui manquent. Les filles El Amri ont réalisé de grandes performances au niveau arabe et africain. Le jeune Aithmidou et bien d’autres regorgent de talent. Tissir a été médaillé d’or aux Olympiades de Calvia. Moi-même, je suis médaillé aux dernières Olympiades de Turin. Voilà presque 20 ans que je suis numéro 1 sur la liste Fide au niveau arabe et africain. J’ai joué une finale mémorable au Grand Prix de Bordeaux en 2005 contre Karpov. Tout ceci a été passé sous silence au niveau de notre presse. Alors, faut-il blâmer les instances publiques pour ne pas avoir récompensé tous ces champions ? C’est possible, mais il faut alors aussi blâmer nos dirigeants pour ne pas avoir su tirer profit de tous ces résultats.
MM : Cela fait longtemps que nous attendons, que les joueurs professionnels attendent. N’avez-vous pas fait trop souvent les frais de cette gestion hasardeuse des échecs nationaux et du manque de professionnalisme de nos dirigeants ? Le fait de ne pas disposer d’Elo régulièrement ne t’affecte t-il pas ? Ne pas jouer à Dresde et se retrouver subitement en chômage technique involontaire, ne t’a t-il pas perturbé ?
HH : Voilà deux ans que j’ai la possibilité de jouer sur la liste française. Deux ans aussi que nous, joueurs classés marocains, n’avons plus de classement Elo. Deux ans que je n’ai plus, à l’instar d’autres joueurs comme les MI Tissir et Onkoud, la possibilité de représenter le Maroc, ni dans les championnats arabes ni dans les championnats d’Afrique et du monde. L’élite des joueurs marocains avait lancé plusieurs appels pour dénoncer les irrégularités et les abus de pouvoir constatés au niveau de la FRME. Nous l’avons crié sur tous les toits, nous avons fait des communiqués dans les journaux, sur la toile. Encore une fois, nos appels sont passés presque inaperçus. J’ai l’impression que les échecs au Maroc sont un "laisser pour compte" de tous les autres sports. Comme si notre haute instance sportive avait déjà décidé de ne pas s’en occuper.
Ces Olympiades représentaient pour moi une dernière chance. Ce qu’il faut comprendre, c’est que pour nous tous, et je parle au nom des joueurs de l’équipe marocaine, il a fallu réserver les dates des Olympiades. Certains ont dû décliner des cours, d’autres ont dû refuser des tournois et même acheter à l’avance les billets d’avions pour Dresde (je pense à notre MI Ismael Karim) pour apprendre, la veille, que le voyage était annulé ! Sans parler de l’illusion que nous avions tous (garçons et filles) de pouvoir représenter notre pays avec la meilleure équipe possible à la plus grande manifestation mondiale échiquéenne.
Nous, les joueurs d’échecs, avons besoin de motivation pour aller de l’avant.Les assises nationales de Skhirat du 24 octobre dernier et les signes prometteurs de l’après 2 novembre annoncent un changement certain dans la gestion du sport en général et des échecs en particulier. Nous sommes certainement sur la bonne voie, mais le chemin est encore long et parsemé d’embûches.
MM : J’ai exprimé dernièrement une crainte par rapport au fait que nos joueurs professionnels risquent de partir vers d’autres cieux et jouer sous d’autres couleurs. Vous l’avez à tour de rôle souvent insinué sans jamais vraiment oser faire le pas. Comme il n’ y a jamais de fumée sans feu, j’aimerais que tu nous confirmes ou infirmes cela. Nous quitteras-tu un jour pour jouer sous la bannière tricolore ?
HH : La France est mon pays adoptif. C’est ici que j’ai vécu mes meilleurs moments échiquéens avec les Grands Prix du Cap d’Agde ou de Bordeaux. C’est ici aussi qu’on m’a offert une rémunération pour le travail échiquéen que j’effectue.
J’ai donc pris la décision de changer de liste dès janvier 2009. Cela me permettra de viser de nouveaux challenges, d’avoir de nouveaux horizons et surtout de pouvoir faire pleinement ce que je suis vraiment : joueur d’échecs.
Je n’ai (plus) ni la patience ni la force de me soucier si tel ou tel jour je vais avoir un Elo, si je vais être remboursé tel billet d’avion ou si je vais participer à un tournoi tout court !
C’est une chance qui se présente à moi et j’estime que le moment est arrivé de la saisir. Je dis bien que c’est une chance car je pense à tous nos talents qui n’ont pas la possibilité de s’adonner complètement à leur passion. Je pense spécialement à notre ami Ali Sebbar qui a même été privé de jouer dans son propre pays !
Mais il ne faut pas désespérer et baisser les bras pour autant. Nos problèmes ne datent pas d’hier et je me souviens, il y a 16 ans, que j’ai été privé de participer au championnat du monde junior pour un non-paiement des joueurs classés marocains. C’était, à l’époque, une grande frustration pour moi car je pensais avoir de réelles chances de décrocher un podium. Depuis, j’ai fait pas mal de chemin et je leur (tous nos jeunes espoirs) souhaite de faire de même, à l’instar de nos amis égyptiens qui, avec des moyens comparables aux nôtres, sont parvenus à produire un champion du monde et bien au delà, permettre à leurs jeunes espoirs de se consacrer à leur passion.
MM : Alea jacta est. Nous voilà fixés pour de bon. Je respecte ta décision cher Hicham et je suis sûr que nos lecteurs la comprendront, même s’ils ne l’accueilleront pas tous de gaieté de coeur. Je te souhaite bon vent cher ami et beaucoup de succès dans cette nouvelle phase de ta carrière. Sache que ton pays d’origine restera toujours fier de toi et que nous t’applaudirons et suivrons tes exploits quelle que soit la couleur du drapeau pour lequel tu joueras. Car pour nous, tu resteras le héros national qui fait vibrer nos cœurs à chaque exploit.
Un dernier mot ?
HH : Merci à Maroc Echecs de m’avoir permis d’expliquer mes motivations. Je vous félicite à mon tour pour votre dévouement. Vous avez réussi, grâce à la magie d’Internet et malgré le fait que la plupart d’entre vous vit à l’étranger, à rassembler la famille échiquéenne marocaine au pays. Peu importe finalement dans quel pays on vit, ce qui compte ce sont les hommes et le combat qu’ils mènent.